Protéger et soigner. Des biomarqueurs aux traitements, les équipes de la DSV travaillent à l’amélioration de la protection des travailleurs et de leur prise en charge en cas de contamination.
Au-delà des accidents graves, la question des risques liés à l’exposition aux rayonnements ionisants se pose au quotidien pour les salariés de la filière nucléaire, comme en médecine nucléaire ou en radiothérapie. Si tout est fait pour diminuer le risque, celui-ci demeure et doit être pris en compte. La radioprotection, c’est-à-dire la protection des travailleurs contre les risques liés à l’usage de rayonnements ionisants, est très stricte, réglementée et associée à un suivi médical professionnel important et adapté. Car la nature du risque varie selon le poste de travail. Ainsi, dans les ateliers de fabrication ou de retraitement du combustible nucléaire, les travailleurs peuvent être exposés à des gaz, des liquides ou des poussières contenant des éléments radioactifs. On parle alors de contamination. « C’est l’un des risques sur lesquels travaillent les chercheurs de la DSV. Ils s’attachent en particulier à mieux comprendre comment une contamination par les actinides se propage dans l’organisme, comment elle est éliminée et quelles sont les relations entre doses et effets. Des informations indispensables pour mieux estimer le risque et adapter les mesures de radioprotection », explique Florence Ménétrier, responsable de la cellule d’expertise Prositon. « Le deuxième objectif des chercheurs est de donner aux médecins des éléments de réponse aux questions qu’ils se posent au cas par cas : Dois-je traiter ? Avec quel protocole ? Quand puis-je arrêter le traitement ? »
Améliorer la radioprotection
Un millisievert (mSv) par an pour la population ; 20 par an pour les travailleurs ; et jusqu’à 250 ponctuellement pour le personnel d’intervention de la centrale de Fukushima. Ce sont les doses maximales acceptées, en fonction des situations d’exposition. Fixées réglementairement, elles sont défi nies à partir de recommandations élaborées par la Commission internationale de protection radiologique (CIPR) en s’appuyant sur l’ensemble des informations acquises par la communauté scientifique. « À l’iRCM, nous menons des recherches afin d’améliorer les modèles biocinétiques de contamination par les actinides sur lesquels s’appuie la CIPR », explique Olivier Grémy. « Les modèles biocinétiques ont pour objectif de prévoir le comportement de chaque radionucléide dans le corps humain, depuis son entrée jusqu’à son élimination. Nous avons donc développé des modèles expérimentaux pour suivre chez l’animal le devenir du plutonium et de l’américium notamment, ceci après différentes formes de contamination : pulmonaire ou par blessure. Nous regardons aussi les conséquences de ces contaminations, particulièrement en termes de cancer ».
Avec ces modèles, les chercheurs évaluent l’effet de nombreux paramètres, notamment physicochimiques et anatomiques. Ils ont ainsi montré que, pour une même dose de radionucléide, le risque de développer un cancer pulmonaire est trois fois plus élevé avec de l’oxyde de neptunium qu’avec de l’oxyde de plutonium qui se répartit de façon beaucoup moins homogène dans les poumons. « Cela démontre que connaître la dose ne suffi t pas et qu’il faut prendre en compte sa répartition dans les tissus pour mieux estimer la probabilité de développement d’un cancer », souligne le chercheur. Une autre question se pose immédiatement : que se passe-t-il en cas de contamination par un mélange d’actinides ? « Nous nous attachons à décrypter le comportement des actinides lorsqu’ils sont mélangés, comme c’est le cas dans le combustible Mox utilisé dans certains réacteurs nucléaires. C’est particulièrement important pour adapter la radioprotection des personnes qui fabriquent ce combustible », explique Olivier Grémy. À partir de leurs résultats expérimentaux les chercheurs de l’iRCM développent et ajustent des modèles informatiques. « Notre originalité, c’est d’allier recherche expérimentale sur l’animal et modélisation informatique », souligne Paul Fritsch. « Et ces modèles nous les transposons à ce qui se passe chez l’Homme. Actuellement, les doses limites défi nies par la CIPR tiennent compte des risques pour différentes catégories de personnes. Avec cette démarche, nous augmentons les paramètres pris en compte avec pour objectif de pouvoir évaluer la situation individuelle. »
À la recherche de biomarqueurs
La première chose à faire en cas de suspicion de contamination accidentelle, c’est de la vérifier et d’en évaluer le niveau. Pas si simple ! À l’heure actuelle, le test utilisé consiste à détecter la quantité de radionucléides dans les urines. « Ce dosage indispensable est toutefois insuffisant », affirme Odette Prat, de l’iBEB. « Les médecins du travail ont besoin d’avoir un test qui leur permette non seulement de connaître le niveau de la contamination mais aussi d’en prévoir les conséquences pathologiques potentielles pour le travailleur. Nous avons mis en évidence, par toxicogénomique, un biomarqueur qui pourrait les y aider dans le cas d’une contamination par l’uranium : l’ostéopontine, une protéine impliquée dans la minéralisation osseuse. En effet, l’uranium se fixe préférentiellement dans les os ». Les chercheurs sont maintenant confrontés à une difficulté pour valider ce biomarqueur chez l’Homme car, fort heureusement, les cas de contamination sont très rares. « Nous n’avons pu l’évaluer qu’auprès d’un petit nombre de travailleurs d’Areva exposés à des poussières d’uranium. Néanmoins, cette étude va nous permettre de mieux appréhender son mécanisme d’action toxique », souligne Odette Prat. Toujours à la recherche de biomarqueurs, les chercheurs de l’iBEB utilisent également une autre approche, la protéomique. « Nous analysons l’ensemble des protéines présentes dans l’urine après contamination à la recherche d’une signature protéique globale de la toxicité des radionucléides », explique Véronique Malard. « Nous nous intéressons bien sûr à l’uranium, mais également au cobalt, un radionucléide produit lors des réactions de fission ».
Des traitements plus efficaces
Une fois la contamination détectée, il faut intervenir le plus rapidement possible pour éliminer un maximum de radionucléides. Pour cela les médecins utilisent des traitements non spécifiques tels que des lavages d’estomac ou de plaies, l’administration de laxatifs ou diurétiques… Des approches plus ciblées sont donc indispensables. En particulier, il faut pouvoir faire appel à des agents décorporants, c’est-à-dire à des molécules formant avec le radionucléide un complexe stable et facilement excrété par l’organisme. Les chercheurs de la DSV se concentrent sur deux grands objectifs : synthétiser de nouveaux décorporants et améliorer ceux existants, notamment en défi nissant les conditions d’utilisation les plus efficaces. Éliminer l’uranium est un vrai défi . Les médecins ne disposent pas, à ce jour, de décorporant dédié à ce radionucléide. « À l’iBiTec-S, nous recherchons, par synthèse chimique et criblage haut débit, des molécules capables de complexer fortement l’uranium », explique Frédéric Taran. « Nous avons ainsi obtenu une série de composés de la famille des bisphosphonates et l’un d’entre eux s’avère capable d’augmenter l’élimination d’uranium en diminuant notamment sa rétention au niveau des reins, là où il est le plus toxique ».
De leur côté, les chercheurs de l’iBEB ont également trouvé des molécules (cf. encadré ci-dessous), biologiques cette fois, qui fixent très fortement l’uranium. Des pistes intéressantes qui permettront peut-être d’esquisser un traitement utilisable par les médecins. « De notre côté, nous essayons plutôt d’améliorer l’efficacité du DTPA (diéthylène triamine penta acétate), le traitement de référence utilisé pour la décorporation du plutonium et de l’américium, et ceci toujours en alliant techniques de biologie et modélisation informatique », explique Olivier Grémy. Actuellement, le test permettant d’évaluer l’efficacité de la décorporation consiste à mesurer la radioactivité retrouvée dans les urines collectées sur une période de 24 heures. « Nous avons montré qu’en réalité la décorporation du plutonium par le DTPA perdure au moins pendant un mois ! Stocké momentanément dans les cellules puis éliminé progressivement avec le plutonium qu’il a piégé, le DTPA est finalement beaucoup plus efficace que ce que l’on pensait auparavant », précise le chercheur. « De plus, actuellement les médecins n’administrent pas systématiquement le DTPA sur le long terme, mais nos résultats suggèrent qu’il le faudrait ! ». Les chercheurs de l’iRCM évaluent également d’autres formes galéniques du DTPA pour trouver les meilleures conditions de traitement. Ils ont notamment testé, chez l’animal, l’efficacité d’un traitement au DTPA sous forme de poudre sèche pouvant être inhalée, développé par des chercheurs de la Faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry. « Sous cette forme, le DTPA est au moins aussi efficace que lorsqu’il est administré par voie sanguine », s’enthousiasme Paul Fritsch. « L’ensemble de ces résultats pourrait permettre aux médecins d’élaborer des protocoles de traitement DTPA optimisés et adaptés à chaque cas de contamination ».
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