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14 février, 2015

La mémoire du nucléaire sur un disque de saphir

Classé dans : Info — deedoff @ 11:57

Saphyr

Comment s’assurer que les générations futures, dans des milliers d’années, connaîtront l’existence de nos centres de stockage de déchets radioactifs et leur dangerosité? C’est l’objet du projet « mémoire » mené par l’Andra.

La radioactivité pour l’éternité

Le problème est assez vertigineux. La France envisage d’enfouir à Bure, dans la Meuse, des milliers de mètres cubes de déchets nucléaires haute activité, dont certains seront toujours radioactifs dans un million d’années! Ce centre industriel de stockage géologique (Cigéo) devrait recevoir ses premiers « colis » dans une dizaine d’années au plus tôt. Stockés à 500 m de profondeur dans une formation d’argile très stable, le Callovo-Oxfordien, ces résidus ultradangereux resteront là des milliers et des milliers d’années. Mais comment transmettre à nos lointains descendants la mémoire de cette poubelle nucléaire? Comment leur laisser, après sa fermeture, l’information sur son contenu? Avec quels mots ou signes alors que nos langues auront évolué? L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a demandé à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) de préserver la mémoire du Cigéo au moins cinq siècles après sa fermeture, dans 650 à 700 ans. Une durée estimée très insuffisante par certains. « Nous devons donc nous interroger sur une mémoire beaucoup plus longue, multimillénaire », estime Patrick Charton, responsable du programme mémoire à l’Andra, qui mène des recherches sur les messages à délivrer, l’écriture elle-même et ses supports.

Une solution d’avenir : le disque de saphir

Actuellement, le support que privilégie l’Andra est le « papier permanent ». Son pH et sa résistance à l’oxydation, en lui assurant une stabilité durant 600 à 1.000 ans, répondent à la demande de l’ASN. Imprimé avec une encre stable, ce papier est la solution de référence retenue pour les archives du centre de stockage en surface de la Manche. Mais quelques siècles ne font pas l’éternité… Pour y accéder, le plus recommandé est aujourd’hui le saphir synthétique, extrêmement dur, ultrapur et transparent comme le verre, dont la durée de vie est, elle, estimée à plusieurs millions d’années. Une start-up du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), Arnano, a déjà livré à l’Andra trois disques de démonstration. Chacun (20 cm de diamètre, 1,4 mm d’épaisseur, 180 g) peut stocker jusqu’à 40.000 pages d’informations en basse résolution.

Avec ce procédé, les informations (textes, dessins, photos…) reçues sous forme de fichiers informatiques sont écrites sur le disque en langage naturel, sans codage. Elles sont ensuite lisibles à l’œil nu ou en les grossissant. « Nous gravons d’abord textes et/ou images avec un système d’écriture laser. La résolution est d’un micron. On utilise pour cela du nitrure de titane, qui fait office d’encre, explique Alain Rey, président d’Arnano. Ce minéral ne se décompose pas avec le temps, n’est pas altéré par la lumière et résiste à de très hautes températures. » Il est ensuite recouvert d’un second disque de saphir qui se colle au premier par adhérence moléculaire. Ainsi emprisonnée, la gravure est infalsifiable. Ces disques peuvent résister à une température de 1.100 °C pendant quinze minutes. Une limite toutefois : presque aussi fragiles que le verre, ils exigent un emballage spécial. Plus solide, il y a la pierre. Les Américains ont d’ailleurs imaginé l’utiliser, gravée, pour le Waste Isolation Pilot Plant (WIPP), un centre de stockage de déchets radioactifs d’origine militaire, au Nouveau-Mexique.

Les pictogrammes mieux que les langues

Trouver le bon support pour transmettre l’information à très long terme, c’est bien. Quel langage utiliser est une autre affaire. « Les langues évoluent, elles meurent, ce n’est pas la bonne idée », estime Isabelle Klock-Fontanille, qui dirige le Centre de recherches sémiotiques de l’université de Limoges et travaille pour l’Andra. Une langue universelle alors? « Aucune ne fonctionne, même pas l’esperanto, fabriqué à partir de la grammaire des langues indo- européennes. » Le latin? Non plus. Exit l’écriture donc. Restent les pictogrammes, ces « dessins type cigarette barrée » compris par tous sans avoir à lire et sans apprentissage. « Cinq mille ans après, nous comprenons les concepts des Égyptiens. Seules les civilisations ayant utilisé des écritures pictographiques bénéficient de cela », remarque Isabelle Klock-Fontanille.

Reste à trouver quel pictogramme signifiant « attention danger! » sera assez « performatif » pour être compris comme tel dans 10.000 ans. « Et puis les peurs seront-elles alors les mêmes qu’aujourd’hui? Pas sûr, relève au passage Patrick Charton. Nous devrons être pédagogues. » L’Andra étudie à Bure un marquage archéologique du site avec des petites coupelles de céramique résistant à la corrosion naturelle. Des messages gravés dessus indiqueraient la présence de déchets nucléaires en sous-sol et leur danger potentiel. Ces signaux pourraient être enfouis dans les grands monticules d’argile formés en surface avec la terre extraite des galeries. « Mais attention, anticipe Patrick Charton, des stèles et un peu de céramique enfouie ne suffiront pas. Les riverains devront aussi expliquer à leurs enfants qui expliqueront eux-mêmes à leurs enfants… » Saphir et parole mêlés pour la postérité.

Richard Bellet

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