
(Québec) Bientôt sur un navire près de chez vous: 16 vieux générateurs de vapeur radioactifs de la taille d’un autobus scolaire qui vogueront entre Owen Sound en Ontario et Studsvik en Suède. Inquiétant? Selon la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN), non. Mais un accident est vite arrivé, répondent plusieurs associations, qui craignent que la décision n’ouvre la porte au transit des déchets nucléaires sur la voie maritime.
Ces immenses tubes servent à générer la vapeur qui fera tourner les turbines pour produire de l’électricité. Au fil des années, ils finissent par se contaminer. En avril 2010, Bruce Power a demandé à la CCSN l’autorisation de transporter ses 16 générateurs contaminés et rouillés vers un ferrailleur suédois. Ce dernier, situé près de Stockholm, en prélèvera le fer récupérable pour ensuite retourner à l’expéditeur les déchets radioactifs concentrés dans des barils, par bateau jusqu’à Halifax, et par voie terrestre jusqu’en Ontario.
Pas de problème, a conclu le CCSN au terme d’audiences publiques où une centaine d’intervenants ont pu s’exprimer, l’automne dernier. La Commission a estimé que «le risque pour la santé et la sécurité du public et pour l’environnement [...] est négligeable». Dans le communiqué, on ajoute que «Bruce Power est compétente pour exercer les activités qui seront autorisées [... et qu'elle] prendra les mesures voulues pour protéger l’environnement, préserver la santé et la sécurité des personnes, maintenir la sécurité nationale et mettre en oeuvre les obligations internationales du Canada».
La décision et l’attitude de la Commission ont été maintes fois déplorées par des dizaines de villes, de communautés autochtones, d’États et de MRC québécois, ontariens et américains bordant la voie maritime du Saint-Laurant et des Grands Lacs, qui craignent les risques de contamination des sources d’eau potable en cas d’accident. Et Québec ne fait pas exception.
L’attaché de presse du maire Régis Labeaume, Paul-Christian Nolin, critique sévèrement la façon de faire de la CCSN, qui a annoncé sa décision vendredi après-midi. «C’est tout à fait cavalier et quasiment inacceptable», tranche-t-il. «On dépasse de loin les limites internationales de radioactivité sur un seul navire, on manque d’information, et on a sous-évalué les risques environnementaux», ajoute M. Nolin. La Ville de Québec a adhéré à la coa-lition de villes québécoises qui s’opposent au projet, sous l’égide de Sortons le Québec du nucléaire, et fait aussi partie de l’Alliance des villes des Grands Lacs et du Saint-Laurent, qui a récemment exprimé sa préoccupation au sujet du transport des déchets radioactifs sur la voie maritime. Environ 20 millions de personnes vivent autour de l’axe, et 40 millions s’y abreuvent. La Ville ne «se contentera pas de la réponse qui a été donnée» et devrait en saisir l’Alliance au cours des prochains jours.
Fossé entre les pouvoirs
De son côté, Christian Simard, directeur général de Nature Québec, qui fait partie du regroupement Sortons le Québec du nucléaire, regrette le fossé entre ceux qui prennent les décisions et ceux qui les subissent. «Il demeure que c’est moralement inacceptable que ça se décide à ce niveau-là, quand c’est les communautés locales qui prennent le risque.»
Il est aussi d’avis que les risques ont été sous-estimés. «Ça dépasse les normes de 6 à 50 fois le maximum de radioactivité permise. Et de dire que le risque est négligeable, de dire que c’est impossible qu’il y ait des accidents, c’est un acte de foi.»
Ce que les maires et les organismes redoutent par-dessus tout, c’est la porte que pourrait ouvrir cette dérogation consentie à Bruce Power. «Est-ce que le Saint-Laurent va être la voie de passage de l’ensemble des déchets nucléaires de l’Amérique du Nord? C’est une question qu’on doit se poser. Mais je crains la réponse. Comment pourra-t-on dire non après avoir accordé cet arrangement?» s’inquiète M. Simard.
Fort d’un doctorat en physique nucléaire de l’Université Yale, Michel Duguay, qui fait partie du même organisme que M. Simard, craint aussi qu’on établisse un précédent, sachant qu’il se trouve actuellement aux États-Unis 103 réacteurs nucléaires en fin de vie.
Selon lui, Bruce Power devrait tout simplement entreposer ses déchets comme elle avait prévu le faire, une solution, toutefois, qui est beaucoup plus coûteuse.
Plus cher, mais moins risqué. «Une collision de bateau, ça peut arriver n’importe quand», insiste-t-il, ajoutant que le Canada n’est pas non plus à l’abri des attaques terroristes.
Risque ou pas, le président de la Corporation des pilotes du Bas-Saint-Laurent, Daniel Ouimet, ne disait pas craindre de devoir piloter un des navires qui transportent ces déchets radioactifs. Ce sont les pilotes de cette corporation qui seront à la barre des bateaux quand ils franchiront la distance qui sépare Québec et Les Escoumins, sur le fleuve Saint-Laurent. «Pour moi, c’est comme si nous devions un jour piloter les bateaux qui pourraient se rendre au port méthanier de Rabaska, à Lévis. Nous aurons le devoir de faire naviguer ces bateaux dans le fleuve et c’est ce que nous allons faire. Pour moi, ce sera la même job que si je pilotais n’importe quel autre navire.»
Pierre-Olivier Fortin
Avec la collaboration de Matthieu Boivin
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