Jean de Kervasdoué, ingénieur agronome, professeur d’économie et directeur de l’Ecole Pasteur/Cnam de santé publique, est l’auteur de nombreux ouvrages polémiques sur le système de santé mais aussi l’environnement comme récemment dans « Les prêcheurs de l’Apocalypse ».
L’ancien directeur général des hôpitaux, titulaire de chaire au Conservatoire National des Arts et Métiers, et membre de l’Académie des technologies vient de publier « La peur est au-dessus de nos moyens » aux éditions Plon qui dénonce et déconstruit le principe de précaution, érigé aujourd’hui comme prêt à penser incontournable dans la prise de décision des décideurs français.
Pourquoi vous attaquez de nouveau au principe de précaution ?
A partir d’arguments empiriques, il s’agit de proposer une analyse critique du principe de précaution. Pour prendre un exemple d’actualité, contrairement à ce que l’on entend, le principe de précaution ne s’applique pas au Mediator. Dans le cas du Mediator, on savait malheureusement depuis 1998 que ce produit était non seulement dangereux mais aussi inutile.
Il ne s’agit donc pas de précaution puisque le principe de précaution dit qu’il faut agir en cas d’incertitude, par des mesures proportionnées. Dans le cas précis du Mediator, il n’y avait pas d’incertitude, et s’agissant des mesures, le moins que l’on puisse dire c’est qu’elles n’ont pas été proportionnées.
Considérez-vous que la prudence est mauvaise conseillère ?
Le débat sur la prudence est un débat qui remonte aux philosophes grecs. La prudence est une vertu. Je ne m’élève pas contre la prudence, mais contre quelque chose de très précis, placé dans la charte de l’environnement, en préambule de la Constitution française, qui dit qu’en cas d’incertitude on peut prendre des mesures proportionnées. Or, c’est une contradiction, ce qui est incertain ne peut pas être proportionné !
On dit qu’il faut développer la recherche. Mais pour prendre l’exemple des OGM, quelles que soient les recherches effectuées, on n’arrivera jamais à convaincre les faucheurs volontaires qui détruisent les champs d’extérieurs. Le débat est faussé.
Comment en est-on arrivé à ériger cette précaution comme un principe sacro-saint ?
Le principe de précaution a une existence internationale et avait une existence française dans la loi Barnier. Le principe de précaution est né de la volonté des pays riverains de la Mer du Nord de lutter contre la pollution du Rhin. Cela était très bien.
Mais on est passé du droit public international au droit privé, et d’un principe qui émettait des réserves dans la loi Barnier à un principe qui n’en a plus. C’est là ma critique. Dans certains cas il faut bien évidemment agir et éviter de faire n’importe quoi. Mais, le problème c’est que ce principe n’est pas défini.
Entre précaution excessive et risques, où placer le curseur ?
Il est assez facile à placer. Contrôler totalement le monde dans lequel on vit est impossible. Comme toujours, l’incertain ne prévient pas, pas plus en Tunisie que lors de la chute du mur de Berlin. Dire qu’on est capable de maîtriser des événements incertains, c’est complètement idiot.
Dans le cas de la grippe, cette logique a conduit à des erreurs lourdes de conséquences. On pensait que le virus de la grippe serait aviaire alors qu’il fut porcin, on pensait qu’il serait asiatique alors qu’il fut américain. Au moment où le virus a commencé à se diffuser, il fallait se baser sur deux paramètres, le taux de vitalité et le taux de contagiosité. A partir de ce moment là, on a pris de mauvaises directions.
La première erreur avec la grippe A, c’est qu’on a commandé 10% des vaccins mondiaux et 30% du Tamiflu mondial alors que nous ne représentons que 1% de la population mondiale. Mais surtout, l’équipe gouvernementale a refait un système de vaccination en disqualifiant les médecins, qui n’ont pas pu participer au système de vaccination.
On a donc dépensé beaucoup d’argent qu’on n’avait pas et le virus facétieux est arrivé avant les vaccins… On n’a donc pas été sauvé par le principe de précaution mais par le virus. Et résultat que j’avais d’ailleurs prévu, on fait reculer la vaccination en France puisque cette année, 10% de Français en moins ont eu recours à la vaccination par rapport à 2008.
Cette dérive n’est-elle pas le fruit de l’absence de précaution chez les décideurs pendant des années, qui a laissé se développer des scandales comme l’amiante ou le sang contaminé par exemple ?
L’amiante, c’est comme le Mediator. Invoquer le principe de précaution pour l’amiante, c’est aussi faux que pour le Mediator, parce que l’on sait que l’amiante est dangereuse depuis la fin du 19e siècle. Ça n’a rien à voir avec la précaution, on confond tout.
En ce qui concerne le sang contaminé, que malheureusement je connais très bien puisque j’ai été amené à témoigner au procès, le principe de précaution n’aurait jamais empêché cette affaire de se produire. Il y a trois affaires en une. La première est le non rejet de dons à risque de produits sanguins raison pour laquelle nous avons eu en France, un taux de transfusés touchés élevé. La seconde affaire concerne le test. Enfin, la troisième affaire concerne les produits non chauffés. Là, on a sous-estimé le risque. L’erreur était épistémologique puisque l’on était persuadé que les gens séropositifs ne développeraient pas tous la maladie.
Donc, principe de précaution ou pas, cela n’aurait absolument rien changé. C’est comme l’affaire de la vache folle. Les gens ne savaient pas qu’un prion pouvait être à l’origine d’une maladie infectieuse. Ce que je critique, c’est le fait de laisser croire ou laisser penser que l’on connaît tout, même l’incertain.
Avez-vous l’impression que les choses s’équilibrent un peu depuis quelques années ?
Est-ce qu’il y a des problèmes écologiques sérieux ? La réponse est oui. En revanche, est-ce que manger des produits bio améliore la santé, la réponse est clairement non. Il existe deux études qui montrent que ce n’est pas le cas. Le principe de précaution c’est invoquer quelque chose de manière imprécise.
Quelles sont les pistes pour équilibrer cette gestion du risque ?
Je pense que l’on n’a pas besoin du principe de précaution. Interrogez des personnes autour de vous et demandez-leur si elles connaissent un exemple où le principe de précaution a servi à quelque chose !
Ce principe aurait peut-être évité l’emploi massif de pesticides pendant de nombreuses années ?
Ce n’est pas de la précaution… Tout d’abord, il y a toujours eu des pestes et cela est naturel. Il n’y a rien de plus naturel que des eaux empoisonnées, que de la ciguë… Deuxièmement, les agriculteurs n’ont aucun intérêt, parce que ça leur coûte cher, de répandre des pesticides. Enfin, troisièmement, est-ce qu’il y a des pesticides qui ont été trop largement répandu, la réponse est oui et il est bon d’arrêter cela. Mais ce n’est pas le principe de précaution.
Quand nous mangeons, nous ingérons 10.000 fois plus de toxines naturelles que de pesticides. Les plantes fabriquent des toxines. Et quand nous regardons les traces de pesticides que nous avalons, c’est un rapport de 1 à 10.000.
Dans notre lutte contre toute trace de pesticide dans la nature, on voit réapparaître des moustiques et la dengue dans le sud de la France. On se couvre alors d’insecticides dans des proportions beaucoup plus importantes que les traces de pesticides que nous pourrions ingérer. Pour moi, il s’agit d’une méconnaissance de la nature, des agriculteurs et des problèmes d’environnement.
Plusieurs voix se font entendre depuis quelque temps qui remettent également en question ce principe de précaution, avez-vous l’impression que les mentalités évoluent ?
Oui, les gens qui pensent comme moi s’expriment de plus en plus, surtout après des scandales comme la grippe, où l’on a dépensé des milliards d’euros pour des bénéfices nuls. On doit croire en l’avenir. Pour protéger l’avenir, il faut être prudent, je ne dis pas le contraire. Mais je pense que jusqu’à présent, le principe de précaution a plus nuit qu’il n’a servi.
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