
La transmutation est possible mais demande une longue phase d’expérimentation
Concept CAPRA, système RUBBIA, système BOWMAN : la transmutation des déchets à vie longue dans les réacteurs est à l’étude depuis une dizaine d’années. Le principe : diminuer leur radiotoxicité en provoquant leur fission ou en les forçant à capturer un neutron. En France, la piste est considérée comme sérieuse : en 1994, près de 260 millions de francs ont été dépensés pour évaluer les différents scénarios de transmutation. Parmi ceux-ci, un concept plutôt révolutionnaire, associant un accélérateur de protons et un réacteur refroidi au plomb. A l’origine destiné à produire de l’énergie nucléaire propre et sûre, ce système hybride semble être la solution la plus prometteuse.
Leschiffresparlent d’eux-mêmes : dans le monde occidental , chaque année, environ 8 000 tonnes de combustibles irradiés sont extraits des réacteurs . A l’horizon 2010, leur accumulation pourrait atteindre 200 000 tonnes. Des projets de stockage dans les couches géologiques profondes existent mais les difficultés d’ordre technique subsistent (voir l’article de Guislain de Marsily dans ce dossier). Ces difficultés ont amené certains pays comme la France et les Etats-Unis à engager dès le début des années 1990 une réflexion sur les possibilités de transmuter les déchets très radioactifs. Autrement dit, les transformer par réaction nucléaire en noyaux moins radiotoxiques et de durée de vie courte* ou en noyaux stables. La transmutation offre un avantage de taille : elle permet de se débarrasser physiquement des déchets les plus radiotoxiques à long terme. Le succès d’une politique de transmutation réduirait considérablement, voire supprimerait la nécessité de stockage géologique.
Contrairement aux Etats-Unis ou à la Suède, la France a, on le sait, choisi la voie du retraitement. Chaque année, 700 kg de plutonium recyclé sous forme de combustible MOX (un mélange d’oxyde de plutonium et d’oxyde d’uranium) sont consommés dans sept centrales à eau (les REP-MOX). Ce retraitement en centrales dédiées constitue déjà l’amorce d’un programme de transmutation. Cette voie est cependant limitée par le nombre de recyclages possibles (voir l’article de Jean-Paul Schapira au début de ce dossier) ;. Comment améliorer les rendements pour le plutonium et étendre la transmutation aux autres classes de déchets ? En France, plusieurs équipes (CEA, CNRS, Framatome, EDF) se sont penchées sur les aspects théoriques et techniques du problème. Des solutions peuvent être aujourd’hui proposées. Mais comme nous allons le voir, les obstacles techniques ne sont pas tous surmontés. de plus, elle ne concerne qu’une seule catégorie de déchet
Sur le long terme, le problème principal posé par les combustibles irradiés provient surtout des transuraniens (TRU). Rappelons que les TRU sont produits dans les réacteurs à eau pressurisée (REP*, PWR en anglais) par captures neutroniques successives non suivies de fission à partir des isotopes de l’uranium 235 et de l’uranium 238 (voir l’introduction du dossier et l’article de Jean-Paul Shapira). Un grand nombre de ces noyaux se désintègrent par radioactivité alpha* et représentent de fait des sources de radioto- xicité potentielle particulièrement redoutables. Aucun des noyaux transuraniens n’étant stable, la seule manière de s’en débarrasser est de provoquer leur fission en les bombardant par un flux de neutrons.
La transmutation des transuraniens (appelée aussi incinération) se pose en termes différents pour les actinides majeurs (uranium et plutonium) et les actinides mineurs (neptunium, américium et curium). Tout d’abord, leur production en volume est loin d’être la même : les réacteurs à eau pressurisée produisent beaucoup plus de plutonium (200 kg/an dans un REP de 1 000 MWe) que d’actinides mineurs (10,4 kg/an de neptunium, 9,8 kg/an d’américium et 0,8 kg/an de curium dans le même type de REP). Un calcul simple montre que pour incinérer complètement le plutonium produit par trois REP, il faudrait un réacteur incinérateur entièrement consacré à cette tâche. Plus économique, l’incinération des actinides mineurs n’exigerait qu’un réacteur dédié pour trente REP. Mais l’économie s’arrête là… car si la fabrication au niveau industriel des combustibles au plutonium est techniquement au point, il n’en est pas de même, comme nous le verrons plus loin, pour les combustibles à base d’actinides mineurs associés à une forte radioactivité gamma*. Dans le combustible irradié au déchargement d’un REP, on trouve une seconde catégorie de déchets qui dépasse en volume celui des transuraniens. Ce sont des noyaux légers, qui résultent de la fission des noyaux lourds présents dans le coeur du réacteur. La majorité de ces produits de fission (PF) est stable ou caractérisée par une radioactivité à faible durée de vie et ne constitue pas des déchets gênants. Seuls quelques éléments de cette famille sont très actifs ou à durée de vie longue et justifient de ce fait d’être transmutés. Pour ces nucléides, l’opération est simple au moins dans son principe : il faut transmuter l’élément radioactif en le forçant à capturer un neutron. La capture neutronique va transformer le noyau léger et radioactif en un noyau plus lourd et plus stable .
La transmutation des produits de fission suppose au préalable une séparation chimique ou isotopique. Car, pour éviter de transformer les produits stables en noyaux radioactifs, il faut isoler les espèces que l’on désire transmuter. La séparation chimique permet de séparer les produits de fission selon leur espèce chimique. Mais il est courant que plusieurs isotopes de même espèce chimique mais de radiotoxicité très différente soient produits dans la fission. Il faut donc compléter la séparation chimique par une séparation isotopique. Mais ce procédé serait trop coûteux (y compris en énergie) si l’on voulait l’étendre au stade industriel. Dans la pratique, seuls les produits de fission ne nécessitant pas la séparation isotopique sont susceptibles d’être transmutés. Il s’agit des isotopes technétium 99, étain 126 et iode 129 qui, bien que ne représentant que 3 % du total des produits de fission, sont responsables de 75 % de leur radiotoxicité potentielle à long terme. On peut montrer que l’efficacité de leur transmutation est améliorée par l’emploi de neutrons thermiques* ou épithermiques*. De tels spectres sont, rappelons-le, la norme des réacteurs de type REP, mais on peut aussi localement les obtenir dans les réacteurs à neutrons rapides* (RNR).
Les choses sont différentes pour les transuraniens. L’efficacité de leur incinération dépend à la fois de la nature et de l’intensité du flux neutronique dans lesquels ils seront plongés. Les caractéristiques des flux neutroniques des REP sont tels que l’incinération des actinides mineurs dans ces réacteurs est consommatrice de neutrons. L’isotope se comporte alors comme un « poison neutronique ». Ce type de réacteur n’est donc pas approprié au cas des transuraniens. En revanche, les réacteurs thermiques à très haut flux et, surtout, les réacteurs à neutrons rapides permettent une incinération accompagnée d’une production nette de neutrons. Première constatation : de par leur nature, les transuraniens et les produits de fission doivent donc être séparés avant la transmutation.
La fabrication d’éléments combustibles incorporant des actinides mineurs présente aussi des difficultés techniques. Les experts s’accordent pour dire qu’il sera probablement impossible de fabriquer des combustibles à forte concentration en curium du fait de la forte activité gamma de son isotope 244. Au contraire, le neptunium pourrait être simplement mélangé au plutonium et à l’uranium. L’américium est un cas intermédiaire : les combustibles riches en américium associé à l’activité gamma devraient être fabriqués dans des ateliers spécialisés.
La séparation des différents radionucléides à la sortie d’une centrale est donc un élément clé du dossier transmutation et constitue un axe de recherche* prioritaire. En isolant les radioéléments selon leur type et en les plaçant dans des zones* adaptées, on peut espérer optimiser les réactions de transmutation.
Aux problèmes techniques de séparation et d’isolement des nucléides s’ajoute bien sûr un certain nombre de contraintes liées à la sécurité du réacteur dédié à la transmutation (voir l’encadré « La sûreté d’un réacteur »). En tenant compte de ces contraintes et en supposant que l’on maîtrise parfaitement au stade industriel la séparation des différents déchets, quel scénario envisager pour incinérer les transuraniens (plutonium et actinides mineurs) et les produits de fission ?
Un scénario qui a fait l’objet d’études approfondies au CEA inclut un premier recyclage du plutonium dans les REP-MOX. A la suite de ce recyclage, le combustible irradié s’est enrichi en actinides mineurs et en isotopes lourds du plutonium. C’est ce produit dégradé qui servirait alors de combustible dans un RNR de type CAPRA.
Jusqu’à présent, les réacteurs à neutrons rapides construits sur le modèle de Superphénix ont été utilisés pour produire plus de plutonium qu’ils n’en consommaient. Rappelons que cette stratégie des surgénérateurs avait été mise en place dans les années 1960 par crainte d’une pénurie de l’uranium 235 : ainsi pouvait-on espérer utiliser tout l’uranium 238 présent dans l’uranium naturel. Pour ce faire, le coeur de Superphénix a été entouré de couvertures radiales et axiales* d’uranium. Cette géométrie permet de brûler chaque année 800 kg de plutonium et d’en produire 960 grâce à la réaction simple transformant l’uranium 238 en plutonium 239 : 160 kg de plutonium sont donc produits chaque année. Pour se débarrasser du plutonium, une première idée est de transformer Superphénix en consommateur : il faut pour cela remplacer les couvertures en uranium par des couvertures en acier. Les calculs montrent que la production de plutonium serait ramenée dans ces conditions à 640 kg : Superphénix consommera alors 160 kg de plutonium par an. Mais sachant qu’un réacteur REP de 1 000 MWe pro-duit chaque année 200 kg de plutonium, il faudrait donc un peu plus d’un réac- teur de type Superphénix par REP pour consommer le plutonium, ce qui serait absurde. Même en envisageant un recyclage du plutonium dans les REP-MOX, cette version consommatrice de Superphénix reste tout à fait inadaptée. Le concept CAPRA imaginé par le CEA consiste essentiellement à diminuer la production de plutonium dans le coeur en abaissant la teneur en uranium et en augmentant celle du plutonium, qui passerait de 20 % à 45 %. En se fixant une production de 8TWe annuelle, on peut espérer consommer 600 kg de plutonium (au lieu des 160 kg).
Un parc nucléaire comprenant 70 % de REP ordinaires, 10 % de REP-MOX et 20 % de RNR-CAPRA serait alors susceptible de consommer le stock annuel de plutonium. En effet, sept REP (à 1 000 MWe) produisent environ 1 400 kg de plutonium chaque année. Sur ces 1 400 kg absorbés annuellement dans un REP-MOX, seulement 200 kg peuvent être consommés dans le recyclage : il reste 1 200 kg pour charger les RNR-CAPRA. On voit donc qu’il faut deux réacteurs CAPRA pour éliminer le stock de plutonium produit par les sept REP.
Actuellement, des recherches sont en cours pour améliorer sensiblement le rendement des CAPRA : en supprimant complètement l’uranium 238 du combustible, on peut espérer atteindre une consommation de 900 kg (au lieu des 600 kg). Ceci paraît possible en utilisant un plutonium fortement enrichi en plutonium 240, qui jouerait alors le rôle de noyau fertile* et assurerait au réacteur des paramètres de sécurité acceptables. Dans ce scénario de référence, le neptunium pourrait être incinéré sous forme homogène, c’est-à-dire mélangé dans les barreaux au plutonium. Quant à l’américium, à l’activité gamma intense, il serait de préférence incinéré sous forme d’éléments spécialisés (barreaux entiers dédiés à l’américium). Sous ces conditions, un incinérateur à neutrons rapides est susceptible de brû- ler 4,5 kg/TWhe de neptunium et 5 kg/TWhe d’américium. Ces chiffres sont à rapprocher de la production d’un REP : 1,7 kg/TWhe pour le neptunium et 1,6 kg/TWhe pour l’américium. On retrouve ici la nécessité de disposer de deux RNR-CAPRA pour sept REP. Il reste à définir la place des produits de fission.
Dans les réacteurs de type CAPRA, il est théoriquement possible de remplacer toutes ou une partie des couvertures en acier par des éléments comportant des produits de fission. Les études montrent qu’il serait ainsi possible de transmuter chaque année près de 80 kg de produits de fission à vie longue. Ceux-ci étant produits à raison de 24 kg par an dans un REP, nous retrouvons une fois encore le rapport « deux RNR-CAPRA pour sept REP ».
S’inspirant d’une suggestion de Carlo Rubbia du CERN à Genève, on pourrait aussi envisager de remplacer dans les REP-MOX l’uranium 238 par du thorium 232(1). La combustion du plutonium dans les REP-MOX serait alors accompagnée de la production d’uranium 233, celui-ci pouvant ensuite remplacer l’uranium 235 dans les REP. Il faut remarquer à cet égard qu’à la différence du combustible uranium 238-plutonium 239*, le couple thorium 232-uranium 233* peut être recyclé aussi souvent que nécessaire dans les réacteurs thermiques. Autre avantage : la production de transuraniens dans les réacteurs faisant appel au thorium 232 et à l’uranium 233 – noyaux plus légers que l’uranium 238 et que le plutonium 239 – serait de trois à quatre ordres de grandeur au moins inférieure à celle observée dans les réacteurs actuels. La principale difficulté semble résider dans la fabrication de ce nouveau combustible : le thorium 232 produit de l’uranium 233 et une faible fraction d’uranium 232 caractérisé par une intense activité gamma.
Une troisième stratégie – apparemment beaucoup plus simple – serait de remplacer les combustibles enrichis à 3,5 % d’uranium 235 par des combustibles où l’élément fissile serait pour les deux tiers de l’uranium et pour le tiers restant du plutonium 239. Cette voie permettrait de stabiliser le stock de plutonium. Bien sûr cette stratégie implique à chaque étape l’extraction des actinides mineurs puisque, nous l’avons vu, ceux-ci ne peuvent être facilement incinérés dans des réacteurs thermiques à flux neutronique classique. Ces déchets très radiotoxiques pourraient alors être placés dans des réacteurs à neutrons rapides ou encore, et c’est là un concept révolutionnaire, éliminés avec les produits de fission dans des systèmes hybrides qui associent un accélérateur de protons à un milieu multiplicateur de neutrons sous-critique (k*<1) et donc très sûr.
Le système hybride, défendu par plusieurs physiciens, en particulier Carlo Rubbia, est à l'origine un concept pour produire de l'énergie en utilisant le cycle thorium 232-uranium 233. L'objectif premier des systèmes hybrides était de remplacer les réacteurs conventionnels pour produire de l'énergie pratiquement sans limitation de ressources (les réserves de thorium pourraient dépasser 100 000 ans !) avec une production réduite de déchets à longue durée de vie. Au fur et à mesure de la réflexion, il est apparu que les systèmes hybrides possédaient les qualités nécessaires pour la transmutation des produits de fission et des transuraniens.
Ce sont, comme nous l'avons dit, des systèmes sous-critiques : leur coefficient de criticité k est maintenu constant et inférieur à 1 grâce aux régénérations régulières de combustible. Cette sous-criticité permet de s'affranchir des contraintes associées aux réacteurs conventionnels (voir l'encadré « La sûreté des réacteurs »). Ce sont notamment, à la différence des réacteurs conventionnels, des systèmes qui permettent en principe l'utilisation de combustibles ne comportant que des transuraniens(2).
Deux géométries très différentes de systèmes hybrides, celle de l'équipe de Los Alamos dirigée par C.D. Bowman et celle du CERN dirigée par C. Rubbia, permettent en principe d'incinérer et de transmuter efficacement les déchets à vie longue. Mais dans les deux cas, le fonctionnement de base reste le même : un accélérateur de protons de haute intensité (entre 10 mA et 100 mA) et d'énergie proche du GeV bombarde une cible, laquelle par réaction de spallation* génère un intense flux neutronique de haute énergie. Cette cible serait en principe du plomb fondu ou un mélange de plomb fondu et de bismuth. Le dispositif comprend aussi une zone tampon peu absorbante pour répartir le flux neutronique sur un volume suffisant et autour du coeur, une zone réfléchissant les neutrons. Enfin, la région du coeur renferme le combustible et le système d'extraction de chaleur.
A l'instar des réacteurs rapides et thermiques, les systèmes hybrides permettent d'obtenir des zones caractérisées par des spectres neutroniques différents (thermique, épithermique et rapide). Le positionnement des produits à transmuter est d'ailleurs encore plus aisé que dans le cas des réacteurs conventionnels car ces systèmes sont par essence des systèmes hétérogènes grâce au contrôle de la source de neutrons via l’accélérateur.
Pour incinérer les transuraniens et tout particulièrement le neptunium 237 et l’américium 241 l’équipe de C.D. Bowman a proposé d’utiliser des flux de neutrons thermiques très élevés atteignant 1016n/cm2/s(3,4) (voir le schéma page 77). Dans son projet, la multiplication neutronique est assurée soit par la fission de l’uranium 233 soit par la fission des actinides que l’on veut incinérer. L’uranium 233 est obtenu par bombardement d’une couverture de thorium 232. Le protactinium, élément radioactif intermédiaire formé dans la réaction, est extrait en continu pour ne pas perturber le niveau des captures (extraction en ligne). Son descendant radioactif, l’uranium 233, est réinjecté dans le combustible. Dans le projet BOWMAN, celui-ci est liquide (des sels fondus) et circule dans les bacs d’extraction du protactinium. La région où sont incinérés les actinides est la zone de flux thermique maximal. De très hauts flux permettent entre autres de diminuer leur temps de présence et leur quantité dans le réacteur. Dans ce type de réacteurs, la transmutation des produits de fission se ferait préférentiellement dans une région épithermique : la zone tampon. Pour éviter que les produits de fission stables ne deviennent radioactifs, une séparation en ligne de ces produits est nécessaire.
La mise en place d’un tel système passe par la résolution d’un certain nombre de problèmes techniques : d’abord, construire un accélérateur capable d’accélérer des protons entre 1 et 2 GeV, avec des intensités supérieures à 100 milliampères ; ensuite, assurer au milieu multiplicateur de neutrons un vieillissement honorable : constitué de sels fondus, il doit démontrer sa résistance à l’emploi de flux très intense ; enfin, réaliser une chimie en ligne très complexe pour séparer le protactinium, les produits de fission et injecter en continu le combustible.
Dans le second projet – celui défendu par Carlo Rubbia -, l’accélérateur a une structure circulaire(5,6). Moins onéreux qu’un accélérateur linéaire, le cyclotron* produira une énergie de 1 Gev et une intensité de 10 à 20 milliampères, valeurs limites pour ce type de dispositifs. Un des points remarquables de ce projet est son extrême degré de sûreté. Tout d’abord, la grande masse de plomb formant la cible de spallation permet d’envisager un refroidissement du combustible par convection naturelle (voir le schéma page 77) et atténue les effets induits par de brusques variations du courant de l’accélérateur. Dans le cas où la température du plomb s’élèverait de plus de 100 degrés par rapport au point de fonctionnement, il est prévu que le plomb se déverse dans le tube d’amenée du faisceau, interrompant ipso facto l’afflux de neutrons dans la zone du combustible solide. Le débordement du plomb entraînerait aussi la mise en place, au centre du combustible, d’un absorbeur de neutrons ramenant la valeur du coefficient k à 0,9. Le système proposé (600 MWe) brûlerait annuellement environ 0,4 tonne de plutonium et produirait 0,25 tonne d’uranium 233. Les produits de fission à transmuter seraient disposés dans la couverture externe, là où le spectre de neutrons épithermiques est élevé.
Système CAPRA, réacteurs hybrides ou utilisation du parc actuel pour transmuter les déchets : les solutions techniques existent mais ne sont pas toutes équivalentes en termes de rendements. En France, dans un contexte où le parc de réacteurs est déjà plutôt excédentaire, le scénario CAPRA paraît peu probable car, nous l’avons vu, il exige la construction d’un nombre important de réacteurs dédiés (20 % du parc). Pour stabiliser le stock de plutonium, la piste la plus réaliste est sans doute celle qui consiste à incinérer le plutonium en le transformant en combustible des REP mélangé à l’uranium 235. Il resterait alors à incinérer les actinides mineurs et les produits de fission. Les systèmes hybrides, a priori les seuls réacteurs qui ne limitent pas la concentration en actinides mineurs dans les combustibles, constituent de loin la voie la plus prometteuse. S’inscrivant dans une politique de retraitement, la mise en oeuvre de ces dispositifs peu conventionnels n’est cependant guère concevable avant une vingtaine d’années.
Hervé Nifenecker, Alain Giorni et Jean-Marie Loiseaux
La sûreté d’un réacteur
Dans tout réacteur nucléaire, la fission d’un noyau dit fissile est provoquée par l’absorption d’un neutron. Cette fission s’accompagne de l’émission d’un nombre n de neutrons compris en général entre 2,2 et 3 (valeurs statistiques) selon le type de noyaux. Ces neutrons peuvent, à leur tour, provoquer de nouvelles fissions, et donc donner naissance à de nouveaux neutrons ; c’est ce que l’on appelle la réaction en chaîne. Chaque neutron ne provoque toutefois pas automatiquement une fission. Il peut, en effet, être absorbé dans un noyau non fissile ou capturé dans un noyau fissile sans provoquer de fission.
Un neutron pénétrant dans un milieu comportant des noyaux fissiles donnera donc naissance à une deuxième génération de neutrons en nombre k. Si k est supérieur à 1, la réaction en chaîne diverge parce qu’à partir d’un neutron initial on obtient un nombre final N de neutrons tendant vers l’infini. Dans tous les réacteurs actuels, le coefficient de criticité k est maintenu égal à 1. Dans la pratique, le pilotage du réacteur s’effectue en insérant ou en retirant des barres de contrôle destinées à absorber les neutrons. Le maintien de cette condition dite de criticité (k=1) est rendue possible grâce à l’existence d’une petite fraction de neutrons émis par les produits de fission d’un combustible quelques secondes après leur production : les neutrons retardés. Le problème est qu’en fissionnant, tous les combustibles ne produisent pas la même fraction de neutrons retardés. Cette proportion est même fortement réduite pour les transuraniens, ce qui rend le contrôle d’un réacteur dont le combustible ne comporterait que ceux-ci comme éléments fissiles difficiles à contrôler.
Un bon réacteur doit aussi assurer la décroissance de k quand la température augmente. Ceci se traduit pratiquement par une augmentation du nombre de capture dans les produits peu ou non fissiles, au détriment des produits fissiles (le coefficient de température est négatif). Dans l’état actuel de la technique, cette contrainte impose la présence de l’uranium 238 (noyau fertile) en quantité suffisante dans les combustibles des réacteurs.
Enfin, lorsque la température du réacteur augmente par suite d’une divergence incontrôlée et si le coefficient de température n’est pas suffisamment négatif pour la limiter, des bulles de vapeur peuvent se former par vaporisation du fluide de refroidissement. Ces bulles s’opposent au ralentissement des neutrons dans le coeur et modifient la réactivité du système. Pour assurer la sécurité du dispositif, il est souhaitable que cette modification conduise à une diminution de réactivité (coefficient de vide négatif). Les REP vérifient ce critère mais pas les réacteurs à neutrons rapides (RNR) de type Superphénix. En remplaçant dans ces réacteurs l’actuel produit de refroidissement, le sodium, par du plomb, on peut, comme l’a montré Carlo Rubbia du CERN à Genève, obtenir un coefficient de vide négatif.
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