Voyage au centre de la terre, dans le cimetière du nucléaire militaire et civil
Lorsque la France a fait le choix politique de privilégier le nucléaire dans les années 60, dans un but militaire d’abord, puis pour sa filière énergétique ensuite, elle n’a pas pris en compte les déchets qui en seraient issus. Aujourd’hui, ceux qui proviennent des centrales nucléaires, et considérés à haute activité, c’est-à-dire très dangereux et à vie longue, représentent 5 % du volume des déchets radioactifs français, l’équivalent de deux piscines olympiques. Mais ils concentrent 99 % de la radioactivité totale. Pour faire face à ce problème, l’État français s’est orienté vers la possibilité de les enterrer.
L’ascenseur commence sa descente dans un infernal bruit de ferraille. Il faut huit minutes pour arriver à 500 mètres de profondeur.
Voyage au centre de la terre… Et dans le futur cimetière du nucléaire, que les pouvoirs publics ont choisi de creuser sur le plateau désertique de Bure, petite commune située entre Meuse et Haute-Marne.
Cimetière, ou plutôt lieu de stockage. Car si la France travaille à résoudre sa problématique des déchets hautement radioactifs et à vie longue, ce n’est pas pour simplement s’en débarrasser – ça, c’était dans les années 60, quand on les jetait en pleine mer -, mais pour les gérer au mieux. Les études ont montré que l’entreposage en profondeur, dans un milieu géologique semblable à un coffre-fort, est la solution idéale pour ne pas laisser un héritage encombrant aux générations futures.
Dans les années 90, l’agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) a ainsi sondé le sol français afin de déterminer le lieu qui présentait les conditions les plus favorables. De part l’histoire de son site nucléaire – l’un des premiers du pays -, Marcoule, dans le Gard, présentait le meilleur dossier. Avec comme atouts des recherches menées dans ses laboratoires sur cette problématique, et sa roche argileuse.
Mais les manifestations du monde viticole et les risques sismiques, même modérés, ont finalement conduit l’Andra à préférer Bure. C’est ainsi un véritable laboratoire qui s’est développé depuis dix ans, à 500 mètres sous terre. Laboratoire, car ce n’est qu’en 2025, après des années de recherches, et surtout un processus administratif strict (enquête publique, décision législative…), que les premiers colis radioactifs seront concrètement entreposés, à quelques encablures de là. Aujourd’hui, dans ce réseau de 700 mètres de galeries, des scientifiques mènent des centaines de recherches, sur la roche, l’eau qui la traverse ou sa dégradation au contact des radionucléides, éléments chargés de radioactivité.
Jacques Delay, directeur scientifique du site, connaît cette roche par cœur. « Le laboratoire a été implanté dans une couche d’argilite de plus de cent mètres d’épaisseur, qui s’est mise en place il y a 165 millions d’années et a peu évolué depuis, décrit-il. L’imperméabilité d’une roche, ça n’existe pas. Mais il faut des milliers d’années, pour qu’une goutte d’eau traverse l’argile… Et le déplacement des particules radioactives ne peut se faire que par l’eau », une fois qu’elles se seront dégagées des colis vitrifiés dans lesquelles elles sont piégées (lire ci-dessous), ce qui demande là encore beaucoup de temps. Stéphane Gin, chef du laboratoire du comportement à long terme au CEA Marcoule, en a fait la démonstration.
La roche peut toutefois subir des transformations, en raison de la forte température qui se dégage d’un produit radioactif. « L’argile perd ses propriétés à 150 degrés. Or, les colis seront descendus une fois qu’ils auront atteint la température de 90 degrés – il faut environ 60 ans pour cela – et ils seront espacés les uns des autres selon des calculs très précis. » Pour les affiner, des expériences sont conduites à l’aide de résistances électriques, insérées dans la roche.
En 2025, à la condition que les décrets d’autorisation aient été publiés en 2016, les premiers déchets nucléaires, qui reposent actuellement à Marcoule – les autres sont à La Hague et à Cadarache -, pourront être stockés. La phase d’exploitation durera environ un siècle, le site, lui aussi fait de galeries, devant atteindre une superficie de 15 km2. La loi impose que cette installation soit réversible pendant cent ans, afin de déplacer les colis si de meilleures solutions se présentent dans le futur. « Ce stockage est conçu pour évoluer d’une sûreté active à une sûreté totalement passive, où aucune action ne sera plus nécessaire », précise l’Andra.
Selon les estimations, les éléments entreposés à 500 mètres sous terre réapparaîtraient à la surface, 300 000 ans plus tard. Or, 100 000 ans seraient nécessaires pour effacer toute trace de radioactivité de ces déchets. L’homme du nucléaire fait confiance à la nature.